Posté le: Mer Mai 09, 2007 1:54 pm
Sujet du message: Interview de Maurice Benassayag
Alta Network 2006
Dossier « Tiaret de ma jeunesse »
1ere partie : Interview de Maurice Benassayag
Maurice Benassayag fait partie de ces figures nées à Tiaret qui
n?oublient pas leur région d?origine et qui gardent une ouverture d?esprit
propre à leur parcours semé de diversité.
M. Benassayag est conseiller d?Etat (le Conseil d?Etat étant la plus haute
juridiction administrative en France), membre de la CNIL (Commission
Nationale Informatique et Libertés) et chargé des affaires publiques du
groupe Alstom Transport.
Lors de ma rencontre avec M. Benassayag, je me préparais à m?entretenir
avec un personnage austère et peu accessible compte tenu de son
parcours impressionnant, mais dès les premières minutes je me suis senti
en totale complicité, comme si un proche me racontait ses années en
Algérie.
Cette rencontre m?a permis de comprendre que l?Algérie pouvait être un
lien entre beaucoup de personnes qui avaient en commun ce savoir-vivre
et cette approche de la vie pleine de recul.
Alta Network : M. Benassayag, A quel moment votre famille s?estelle
installée en Algérie et quand avez-vous quitté le pays?
Je suis issu d?une famille juive d?Algérie, ce qui signifie que ma
famille était en Algérie depuis toujours.
En ce qui concerne notre départ, après l?indépendance, mon père a voulu
rester en Algérie. Il se sentait en effet chez lui, et possédait des amis
musulmans, de toutes les classes. Un de ses proches amis était une figure
du FLN, Boussouf Ait Ahmed. Par ailleurs, la municipalité de Tiaret, qui
était de gauche, n?avait que peu connu les effets ou l?influence de l?OAS.
Cependant, mon père qui possédait une entreprise de transport, a perdu
ses deux camions durant les tensions algéro-marocaines d?après
indépendance ce qui l?a poussé à quitter le pays pour des raisons
économiques.
Y?avait-il une réelle diversité à Tiaret avant l?indépendance ?
A l?école oui, musulmans, juifs et colons jouaient ensemble au foot, mais
pas au tennis ou à la piscine et on pouvait regretter un manque d?échange
dans la vie quotidienne. L?exemple du cinéma, où les places du haut
étaient réservées aux Européens et celles du bas aux Algériens, est
caractéristique de la situation à l?époque. Les musulmans avaient peu
accès au collège. Donc si oui il y avait diversité, on ne peut pas parler
d?égalité.
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Nous n?étions pas dans un total apartheid bien sur, les hôpitaux étaient
ouverts à tous, et la pauvreté pouvait toucher tout le monde.
Mais il reste que certains européens se comportaient en vainqueurs, et
pouvaient se sentir supérieurs.
La guerre d?indépendance a été menée pour que l?Algérie vive plus de
justice, et j?espère qu?aujourd?hui les Algériens sont en train d?y accéder
enfin.
Aujourd?hui que l?Algérie est souveraine, pensez-vous que Tiaret
puisse renouer avec une diversité, dans l?égalité cette fois-ci ?
Compte tenu de la situation que nous avons évoquée, il n?y avait pas
d?alternative à l?indépendance, et toute la « personnalité » algérienne s?est
forgée dans cette lutte pour l?indépendance. Mais l?Algérie aurait pu en
effet garder une certaine diversité si l?indépendance avait été acquise plus
graduellement de 1956 à 1962 par la négociation..
La brutalité de la rupture est aussi à la base d?autres problèmes dont
l?Algérie a souffert pendant des années : le système limitait l?accès des
musulmans à l?enseignement supérieur et l?élite musulmane était très
restreinte à l?époque. L?Algérie a dû se relever sans une grande partie de
ses cadres qui étaient français. Aujourd?hui que le défi est sur la voie
d?être relevé, l?Algérie et Tiaret peuvent renouer avec la diversité par des
échanges.
Comment les personnes qui ont quitté l?Algérie à l?indépendance
ont-elles ressenti ce départ ?
A l?époque ou j?étais en Algérie je n?aurais jamais pensé épouser une fille
de colon, mais c?est ce qui est pourtant arrivé (rires). Une vraie dualité
était visible chez mon beau-père. Ce dernier, qui travaillait dans
l?agriculture, et qui était pourtant attaché à l?Algérie française,
reconnaissait en même temps le savoir vivre des Algériens, leurs qualités
humaines, leur courage.
A titre anecdotique, quand il est arrivé en Métropole, il a été frappé par la
manière dont les agriculteurs pouvaient être individualistes, alors qu?en
Algérie tout le monde se prêtait les outils sans hésiter.
Le signe de son attachement est que mon beau-père a d?ailleurs adopté
une Algérienne.
Aujourd?hui une importante série de privatisations et des
dispositifs pour faciliter l?investissement étranger en Algérie sont
mis en place, les investisseurs y trouveront-ils leur compte selon
vous ?
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La santé financière de l?Algérie est de plus en plus solide et les réserves
que le pays engrange actuellement ne font que renforcer les signaux
positifs envers les investisseurs.
Il y a beaucoup d?opportunités en Algérie pour qui sait les saisir.
Le courage et Le sens humain des algériens est aussi un atout. En effet
lors de mes derniers séjours en Algérie, pour des raisons professionnelles,
j?ai ressenti une réelle complicité avec mes interlocuteurs, peut-être grâce
à mes origines.
Moi qui pouvais avoir des appréhensions psychologiques quant à mon
retour, j?ai pu voir un policier m?annoncer « bienvenue chez vous ».
F. Mitterrand s?adressant aux émigrés vivant en France leur avait dit :
« vous êtes ici chez vous ».
D?ailleurs pensez-vous que des personnes qui ont quitté l?Algérie
juste après l?indépendance ou plus tard puissent avoir l?envie de
revenir, pour un séjour ou pour plus longtemps ?
Pour ce qui me concerne tout ce qui touche à l?Algérie me touche au plus
profond.
L?attachement est réellement là pour les personnes qui ont quitté l?Algérie.
Quand je vois mes enfants, ils se sont toujours sentis proches des
maghrébins de leurs classes et je pense que beaucoup de choses
changeront avec les générations qui n?ont pas connu la guerre.
Propos recueillis par Mohamed-Chakib Skander pour Alta Network (juin
2006)
