Posté le: Ven Déc 08, 2006 7:02 pm
Sujet du message: Les bonnes tisanes de Grand'Mère ! (Saison 2)
Au moment des vacances scolaires, en compagnie de Grand'Mère GIRAUD née BOFFA, quand on a accompli le trajet qui relie Oran à Tiaret dans les conditions que l'on sait (voir "Saison 1"), quand l'autocar des T.R.C.F.A. nous a bien brinquebalé en tous sens au long du chemin, il faut quelques jours pour que l'organisme retrouve un certain équilibre ; on comprendra plus loin ce que j'entends par là.
Au surplus le petit citadin oranais de six ou sept ans qui retrouvait, quasiment à la campagne, un terrain de jeu agréable, avait de toutes autres préoccupations que celles, dictatoriales, commandées par les fonctions naturelles du corps humain !
Arrivés à Tiaret nous reprenions, Grand'Mère et moi, possession de la maison. Cette petite propriété située en pleine ville comprenait un minuscule jardin qui, alors, me paraissait immense.
C'était un parc enclavé dans le corps du bâtiment, à la façon d'un patio, fractionné en massifs floraux qui étaient délimités par de courtes bordures de romarin odorant régulièrement taillées, un peu à la manière d'un jardin à la française ou d'un jardin de curé.
Ce fractionnement créait des allées qui s'entrecroisaient et que je pouvais parcourir à bord d'un cyclorameur qui était à ma disposition. Dans cette situation je me sentais le plus heureux des enfants et mon imagination me plaçait alors aux commandes d'une puissante limousine, d'un avion de chasse ou de tout autre engin rapide et dangereux.
Or donc le voyage, le dépaysement, les jeux me faisaient oublier de satisfaire ces fonctions naturelles du corps humain dont je parlais plus haut.
Immanquablement arrivait ce qui devait arriver ; Grand'Mère veillait et, après quelques jours le diagnostique tombait de sa bouche : " tu es encore constipé ! " .
En ces temps là fi donc du médecin et du pharmacien ; les remèdes de grand'mères, si bien nommés, entraient en action.
En général ils étaient à base de plantes diverses et variées, toutes plus naturelles et plus goûteuses les unes que les autres.
Pour les troubles du sommeil il y avait le tilleul ou la fleur d'oranger. La toux était soignée par des infusions de bourgeon de ronces ou de sapins. La verveine, la menthe et le serpolet étaient souverains pour la digestion. Etc ... etc ...
Malheureusement pour moi la constipation était réfrénée par des décoctions d'écorces du fruit du grenadier. Ce joli fruit rond, surmonté d'une flamme symbolique qui contenait encore les filaments desséchés des pistils de ce qui avait été la fleur, était découpé et cela m'était un crève coeur de voir jeter les petits grains rouges et sucrés, rangés à l'intérieur du fruit comme de petites quenottes transparentes, roses et rubis, cloisonnées en groupes par de fines parois diaphanes pour ne conserver que cette enveloppe externe raide comme un cuir, à la teinte variant du jaune à la brique à l'extérieur et jaune vif à l'intérieur.
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Cette peau était mise dans l'eau d'une casserole, portée à ébullition et infusée. Vous ne pouvez pas imaginer l'âcreté du " bouillon " qui en résultait et qu'il me fallait ingurgiter ! C'était l'amertume du péché et de l'Enfer, mais apprêté en solution buvable. Aucune dose de sucre n'était en mesure d'entraver cette saveur qui restait accrochée aux papilles pendant des heures, comme mille artichauts mangés crus.
L'adage le dit si bien, " un malheur n'arrive jamais seul ". A l'ingestion de l'infâme infusion, après un délai d'attente raisonnable, une sorte de période de deuil, succédait la cérémonie du lavement composé de ... devinez quoi ? Vous avez gagné : le pot assassin était rempli du même liquide que j'avais intégré par le haut mais le sucre n'était plus nécessaire. Cependant, à ce stade de la procédure, le fluide magique était intégré par le bas si j'ose dire. Je ne m'étendrai pas sur la honte qui m'envahissait quand il me fallait présenter mon fondement à mon aïeule vénérée. L'introduction de la canule devait alors me sembler quelque chose d'un peu incestueux.
Voilà ce qu'étaient les bonnes tisanes de Grand'Mère !
Quand, enfin, le " bouchon " sautait, ma Grand'Mère, victorieuse, montrait à l'évidence qu'elle avait fait accomplir un grand pas en avant aux Sciences en général et à la Médecine en particulier.
Le pot de chambre garni, symbole triomphant, était exhibé auprès du voisinage en tant que preuve irréfutable des bienfaits de ce qui était alors le "Bio", plusieurs dizaines d'années avant que quiconque ait inventé ce mot.
Cette Grand'Mère thaumaturge avait bien d'autres secrets pour entretenir, voire renforcer, la vitalité de ses petits-enfants mais ceci est une autre histoire qui sera contée en son temps. Il est juste de dire qu'elle nous aimait et, à sa manière, se préoccupait de nous.
Paul Théo GIRAUD
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Ah ! l'imagination ! moi, quand je regarde un plumeau, je vois tout de suite un cocotier.
(Duhamel)
